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Je me souviens d'avoir parlé, dans une réponse à un commentaire, de « seuil » et de « lisière » comme solution de continuité entre deux mondes adjacents, ou parallèles … dedans/dehors, ici/ailleurs, rationalité/spiritualité, corps/âme etc … La musique procède de ce même concept elle vient nous chercher là où nous sommes et, pour peu que nous soyons réceptifs ou, tout simplement disponibles, elle nous emmène au-delà de nous même, hors des sphères de la matérialité de l’autre côté du seuil de la raison, à la lisière de l’émotion (essence de l’humain, aussi nécessaire que le boire et le manger, réprimée sévèrement par notre carcan judéo-chrétien) … à nous de faire le choix du « lâcher prise » pour pouvoir accéder à l’univers que les compositeurs – passeurs magiques – nous ont concoctés, pénétrer dans les couleurs et les entrelacs des notes et des instruments, dans l’harmonie musicale. Le seul risque est de se trouver, le temps d’un concert, dans un univers qui ne nous correspond pas ou bien de découvrir, éberlué, un monde de sérénité qui nous parle directement au cœur et à l’âme. Même si ce n’est pas aussi simple que cela puisque certaines musiques ne se laissent pas séduire dès le premier abord … Un effort est donc nécessaire. Mais vous parliez de lâcher prise, me direz-vous, et si c’était justement cela l’effort à faire ?

 

Même si rien ne remplace le spectacle « vivant », il est possible d’essayer en se laissant bercer par les vagues orchestrales et vocales du "Poème de l'amour et de la mer" (pour soprano et orchestre), d'Ernest Chausson (compositeur français 1855/1899) - oeuvre composée en 1892 - ici chanté par la somptueuse Jessye Norman

 

1ère partie : "La fleur des eaux"

 

 

L'air est plein d'une odeur exquise de lilas,
Qui, fleurissant du haut des murs jusques en bas,
Embaument les cheveux des femmes.
La mer au grand soleil va toute s'embraser,
Et sur le sable fin qu'elles viennent baiser
Roulent d'éblouissantes lames.

O ciel qui de ses yeux dois porter la couleur,
Brise qui va chanter dans les lilas en fleur
Pour en sortir tout embaumée,
Ruisseaux, qui mouillerez sa robe,
O verts sentiers,
Vous qui tressaillerez sous ses chers petits pieds,
Faites-moi voir ma bien-aimée!

Et mon cœur s'est levé par ce matin d'été;
Car une belle enfant était sur le rivage,
Laissant errer sur moi des yeux pleins de clarté,
Et qui me souriait d'un air tendre et sauvage.

Toi que transfiguraient la Jeunesse et l'Amour,
Tu m'apparus alors comme l'âme des choses;
Mon cœur vola vers toi, tu le pris sans retour,
Et du ciel entr'ouvert pleuvaient sur nous des roses.

Quel son lamentable et sauvage
Va sonner l'heure de l'adieu!
La mer roule sur le rivage,
Moqueuse, et se souciant peu
Que ce soit l'heure de l'adieu.

Des oiseaux passent, l'aile ouverte,
Sur l'abîme presque joyeux;
Au grand soleil la mer est verte,
Et je saigne, silencieux,
En regardant briller les cieux.

Je saigne en regardant ma vie
Qui va s'éloigner sur les flots;
Mon âme unique m'est ravie
Et la sombre clameur des flots
Couvre le bruit de mes sanglots.

Qui sait si cette mer cruelle
La ramènera vers mon cœur?
Mes regards sont fixés sur elle;
La mer chante, et le vent moqueur
Raille l'angoisse de mon cœur.

2ème partie : "la mort de l'amour"



Bientôt l'île bleue et joyeuse
Parmi les rocs m'apparaîtra;
L'île sur l'eau silencieuse
Comme un nénuphar flottera.

A travers la mer d'améthyste
Doucement glisse le bateau,
Et je serai joyeux et triste
De tant me souvenir bientôt!

Le vent roulait les feuilles mortes;
Mes pensées
Roulaient comme des feuilles mortes,
Dans la nuit.

Jamais si doucement au ciel noir n'avaient lui
Les mille roses d'or d'où tombent les rosées!
Une danse effrayante, et les feuilles froissées,
Et qui rendaient un son métallique, valsaient,
Semblaient gémir sous les étoiles, et disaient
L'inexprimable horreur des amours trépassés.

Les grands hêtres d'argent que la lune baisait
Etaient des spectres: moi, tout mon sang se glaçait
En voyant mon aimée étrangement sourire.

Comme des fronts de morts nos fronts avaient pâli,
Et, muet, me penchant vers elle, je pus lire
Ce mot fatal écrit dans ses grands yeux: l'oubli.

Le temps des lilas et le temps des roses
Ne reviendra plus à ce printemps-ci;
Le temps des lilas et le temps des roses
Est passé, le temps des œillets aussi.

Le vent a changé, les cieux sont moroses,
Et nous n'irons plus courir, et cueillir
Les lilas en fleur et les belles roses;
Le printemps est triste et ne peut fleurir.

Oh! joyeux et doux printemps de l'année,
Qui vins, l'an passé, nous ensoleiller,
Notre fleur d'amour est si bien fanée,
Las! que ton baiser ne peut l'éveiller!

Et toi, que fais-tu? pas de fleurs écloses,
Point de gai soleil ni d'ombrages frais;
Le temps des lilas et le temps des roses
Avec notre amour est mort à jamais.

 


Voir aussi sur ce blog : Ernest Chausson :
Concert en Ré pour piano, quatuor à cordes et Violon

Tag(s) : #Musique- de- chambre
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