On pourrait croire, après des années de quête, avoir cerné l'esprit - sinon l'essence - de la beauté, de la musique. Et bien, non ! (chouette), découverte cet après-midi de l'enregistrement du Baryton Dietrich Fischer Dieskau, sous la direction de Willhelm Furtwangler, en 1951, des "Lieder eines fahrenden Gesellen" (Les chants d’un compagnon errant). Un vrai choc : la voix souple et étrangement chargée de sens du baryton fait merveille, une manière de perfection musicale et vocale... mais vous allez pouvoir en juger ! Partage ... N'oubliez pas que la musique exige de celui (celle) qui écoute attention et lâcher-prise, abandon des préjugés aussi ... à cette seule condition l'émotion apparaît , pure et étrangement familière - comme la voix superlative de ce baryton allemand (né en 1925) !
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Ce cycle a été composé très vite, quelques jours à peine, autour de janvier 1885, Malher à alors 24 ans. Il
comporte quatre parties.
1 - Wenn mein Schatz Hochzeit macht (Quand ma bien aimée se marie).
2 - Ging' heut' morgens über Feld (ce matin j'ai traversé la prairie).
3 - Ich hab' ein glühend Messer (J'ai une lame brûlante dans ma poitrine).
4 - Die zwei blauen Augen (les yeux bleus de ma bien aimée).
C'est ce dernier chant qui nous intéresse aujourd'hui :
Les deux yeux bleus de ma bien-aimée
m'ont envoyé dans le vaste monde.
Alors je dois dire adieu à cet endroit très cher.
Oh, yeux bleus ! Pourquoi m'avez-vous regardé ?
Maintenant j'ai un chagrin et une douleur éternels !
Je suis parti dans la nuit tranquille,
à travers la lande sombre.
Personne ne m'a dit adieu.
Adieu ! Mes compagnons étaient l'amour et le chagrin.
Sur la route se tenait un tilleul,
et là pour la première fois j'ai dormi.
Sous le tilleul,
qui faisait tomber sur moi ses fleurs comme de la neige,
je ne savais pas ce que la vie fait,
et tout, tout, s'est arrangé !
Tout, tout ! Amour et chagrin,
et le monde et le rêve !
"Dans un mystérieux sentiment de deuil - En évitant la
sentimentalité."
Cette indication de Mahler, qui ne voulait aucun ralentissement dans cette sorte de marche funèbre,
est essentielle. C'est la première fois qu'un élément fondamental de la poétique de Mahler apparaît : cette longue marche venant des origines du monde et qui sera encore celle qui
précipitera sur les routes de l'angoisse tant de populations, tant d'individus brisés.
Mais cette marche, certes issue de la désolation militaire, ne doit être en rien écrasante ou
triomphale, elle va vers une résignation sans illusion où rêve et monde se mélangent.
Les strophes sont traitées différemment. Après le départ du lieu chaud des humains, arrive l'épisode consolateur
de la bénédiction des feuilles du tilleul, arbre-clé de la tradition germanique, et le lied ensuite s'efface de façon presque lumineuse. Il devient étrangement prémonitoire de l"ewig"
(éternellement) terminal du Chant de la Terre.
Mahler nous a raconté en musique, une histoire, son histoire en utilisant pour la première fois des
sortilèges orchestraux, des techniques nouvelles (progressions tonales, rôle narratif de la voix et même de certains instruments précis). Mahler vient de s'éloigner d'un amour anéanti, Mahler
vient aussi de s'éloigner de tout un monde tonal et romantique également anéanti. Les pays qu'il cherche peuvent s'ouvrir, ce cycle est à la fois adieu au lied romantique et ouverture vers le
nouveau siècle.
Ce dernier commentaire est tiré du site : Esprits Nomades
L'oeuvre dans son entier les quatre chants