QUELQUES TRACES HISTORIQUES RAPIDES permettront de mieux appréhender cette période.
Après les passages plus ou moins longs des phéniciens, des grecs, des romains, des vandales, puis des wisigoths, les arabes débarquent sur les côtes sud de l'Espagne en 711.
Abd-al-raman 1er fonde en 756 le califat de Cordoue, dont la ville est proclamée capitale de l'empire musulman d'Espagne, (l'égale de Byzance pour l'orient), puis les royaumes de Séville et de Grenade.
Des luttes intestines rendent le travail d'organisation difficile, mais au 10ème siècle, Abd-al-raman III fait resplendir Al Andalus dans tous les domaines de l'art et de la science.
Cet énorme bloc culturel s'autonomise, rompt avec le reste de l'Islam, profite tout à la fois du contact direct et quotidien avec les mondes islamiques et chrétiens, et de l'apport considérable des communautés juives installées en Espagne depuis bien plus longtemps que les chrétiens : « depuis la destruction du temple de Salomon », disaient-ils ! S'ajoutera à cette multiplicité de cultures, celle des gitans venus d'Inde vers 1435.
Mais peu à peu, les rivalités, ajoutées aux premiers succès des royaumes chrétiens du nord de l'Espagne, entament la puissance d'Al Andalus. Pour contenir l'avance des rois catholiques, on fait appel aux guerriers berbères du Maroc, les Almohades, et la fine fleur de l'Islam cède le pas à la technique des armes et à la violence.
Pourtant, Tolède en 1085, Cordoue en 1236 et Séville en 1248, subissent le même sort face aux armées chrétiennes.
Seule, Grenade parvient à résister à la reconquête et à maintenir intacts tous les acquis de sa culture, jusqu'à sa chute, le 2 janvier 1492.
Près de 8 siècles se seront écoulés depuis la fondation du califat de Cordoue, et enchâssés dans ces 8 siècles, l'esprit et l'intelligence de toute une communauté humaine.
Au temps de la splendeur de Cordoue, on disait : "Si tu as un bijou à vendre, va à Bagdad ; une lame d'épée, va à Séville ; mais si tu veux te défaire d'un livre, va à Cordoue." Il n'y a pas l'équivalent dans l'histoire des hommes, d'une réussite semblable de la fusion de 3 cultures, dont chacune sécrétait le meilleur pour une commune élévation. Le génie spécifique de 3 peuples fondamentalement différents concourut à la naissance d'une œuvre.
La communauté hébraïque, la plus petite en nombre, mais la plus ancienne, avait déposé au fond de la corbeille tout son goût pour l'étude et la dialectique, et toute l'habileté de ses mains.
L'Islam y versa la poésie des étendues sans limite, son art de vivre et l'orgueil d'une architecture qui défiait le temps.
Les latins y mirent leur pragmatisme, l'endurance, le rythme et le bon sens.
Ce fut un mariage d'amour et de raison qui associait l'âme et la chair, la liberté et le respect d'autrui, la pensée profonde et l'art de vivre : ce qu'on appela plus tard le miracle cordouan.
En fait, de miracle, point. Une volonté, oui ! Cherchons quelles communautés plurielles ont pu se bâtir un tel destin depuis le 15ème siècle ?
Une grâce qui dure autant, ne puise qu'en elle-même ses forces de maintenance et de renouvellement. Elle ne fut pas même distraite par les abus, les rivalités, voire les crimes - puisqu'il faut bien l'avouer, il y en eut !
Comment distinguer et surtout pourquoi distinguer le juif du chrétien ou du musulman ? Tout le monde était cordouan !
Aux heures des prières, chacun regardait vers l'orient et c'était le signe de l'entente la plus profonde que de regarder ensemble dans la même direction ...